Kap Dream au paradis, Ricou en enfer - 22 - 06/11/2011
Ames sensibles s'abstenir...
Tombé, et blessé (j'ai vu les photos de son arrivée à l'hôpital, dignes d'un film « gore »), il y a exactement 3 semaines, Jacques Ricou se faisait une joie de pouvoir participer au Week-End International de l'obstacle, ce samedi 5 novembre.
Première monte, une chute. "Tout va bien...", m'a-t-il rassuré.
Son espoir de la journée, c'était bien sûr Kap Dream, dans le Grand Prix d'Automne, Groupe I, où il était associé au champion de Joël Boisnard.
Et puis, après plus d'un tour, Jacques arrête sa monture. Visiblement, le cheval ne peut plus poser le postérieur droit. Il desselle immédiatement. Les hommes de piste se pressent pour tendre des bâches, afin de masquer la souffrance de l'animal au public, venu nombreux pour ce grand rendez-vous, où l'entrée était gratuite.
Joël Boisnard, accompagné de l'entourage proche de Kap Dream traverse l'hippodrome, à pied, pour se rendre dans la ligne d'en face.
Je reprends espoir : ce n'est pas le van « de la mort » qui est dépêché sur place, mais une petite remorque blanche, accrochée au tracteur de service, peut-être celle de Joël…
Les vétérinaires sont sur place, les femmes présentes se cachent le visage dans leurs mains. Joël s'éloigne, le téléphone portable collé à l'oreille. La tête de Kap Dream dépasse toujours des « paravents ». Et, soudain, elle disparaît. La piqûre fatale lui a été administrée.
Dans le vestiaire, Jacques Ricou est prostré, assis sur le banc, face à son "placard". Il m'entend arriver. Il me regarde. Je ferme les yeux, quelques secondes, sans rien dire. Il me répond par le même bref clignement.
On l'appelle chez les Commissaires. Joël Boisnard, ramené en voiture et effondré lui aussi, peinant à retenir ses larmes, est là, lui aussi.
Il m'explique : "Kap s'est fracturé le fémur, sans que je ne sache pourquoi. Il "volait", lors de son dernier travail. La cassure de l'os a sans doute provoqué une hémorragie interne car, quand je suis arrivé, une poche de sang s'était formée, sur sa cuisse. Un bidon de dix litres... Et le temps d'examens complémentaires, cette "bosse" avait triplé de volume... Il n'y avait pas d'autre issue..."
Jacques répond à la convocation des commissaires. Seul journaliste à qui les deux hommes aient parlé, je peux en témoigner : le jockey est ressorti de la "salle d'examen" (nous nous tenions devant la porte, avec Joël) à peine deux minutes plus tard. Il pleurait comme un gamin.
Entre deux sanglots, ils nous â lâché : "Ils m'ont demandé pourquoi j'avais arrêté le favori de la course… Je leur ai répondu : il est mort, bande de c…"
Tout Auteuil a assisté, en direct, à la mort de celui que l'on voyait déjà briller au plus haut niveau. Sauf les commissaires. D'accord, ils ne peuvent pas rester un quart d'heure à scruter ce qui se passe derrière les « écrans », mais le premier turfiste venu avait immédiatement tout compris...
Des responsables de France Galop, à qui j'ai raconté cette histoire, n'en revenaient pas, jugeant cet interrogatoire plus que pathétique.
Jacquot, inconsolable, m'a encore glissé : «Tu sais, les «cabots», dès qu'ils se font un petit bobo, ils s'arrêtent, d'eux-mêmes. Mais les «purs», ils n'ont jamais mal, ils sautent sur le mors, ils en veulent, ils ne supportent pas d'être battus… Dans toute ma carrière, j'ai monté deux vrais cracks et, tu vois, les deux sont au ciel, désormais…»
Ne pleure pas, Jacques. Comme te l'a dit Joël, qui n'était pas plus vaillant que toi.
Jérôme Bernardet.......